Mamani Keïta & Marc Minelli

Electro Bamako (Universal)

Qui n'en a pas rêvé ? Être le témoin privilégié d'un de ces moments magiques, une de ces rencontres improbables, dans un night-club de Bamako, ou dans l'arrière-salle d'un bar-tabac de Belleville. Une fin de nuit, sereine et libre qui vous ferait oublier que le jour, inexorablement finira par se lever. Dans l'indifférence quasi-générale, un DJ exténué, bricole ses samplers, torture ses vieux vinyls à la recherche du groove ultime avec un acharnement magnifique et dérisoire. Un groupe de musiciens de jazz qui buvaient une bière après avoir écumé les clubs dans le vain espoir d'apaiser leur inextinguible envie de jouer, sautent sur leurs instruments. Et la maîtresse des lieux se prenant au jeu, qui vocalise, en distribuant ses derniers beignets de mangue.

Un moment fragile unique, un équilibre précieux, peut-être au moins autant humain que musical, car alors, dans cet état d'oubli qui frôle la grâce, personne n'a rien à prouver, plus d'identité à défendre, mais tout à offrir.

Et ce n'est pas le moindre des tours de force de Marc Minelli et de Mamani Keïta que d'avoir réussi à capturer cet instant.

Dès les huit premières mesures tout est dit : tradition, modernité, jazz et Afrique, électronique et acoustique. M. Minelli et « Mama » Keïta peuvent tout se permettre, ils ont tous les droits puisque c'est au service d'une noble cause, la seule qui vaille la peine de graver des disques : celle de leur musique. Revisitant avec respect, mais sans sacralisation, les oeuvres de leurs grands anciens, ils mêlent rythmiques et gimmicks pop, solos de sax hallucinés, choeurs presque grandiloquents, et reggaes pour rire.

Un parti-pris de liberté, et de créativité qui ne se dément pas tout au long des neuf plages de l'album, aux antipodes de toute cette production world, mièvre et finalement condescendante. Des producteurs démiurges, convaincus (le sont-ils vraiment ?), qu'il suffit d'offrir des productions sophistiquées à des musiques traditionnelles, de mélanger un beat techno et un oud tunisien, pour fabriquer la musique mondiale de demain ! Un peu comme si mettre des champignons dans un Mc Do et l'appeler forestier, constituait l'acte fondateur de l'avenir culinaire de la planète.

Loin des métissages de pacotille, et de la mondialisation musicale tentaculaire, c'est de respect dont il est question ici, et d'exigence artistique. Et c'est parce que « Mamani » Keïta n'a rien renié de la rugosité de son chant, parce que Marc Minelli est resté tel qu'en lui-même, touche à tout de génie, et pilleur inspiré, parce qu'ils ont tenté l'aventure sans rien oublier de leurs cultures, et surtout, parce qu'ils nous parlent d'eux, que leur musique fait mouche et qu'elle devient universelle.

Le 31 novembre 2002

D. Delahaye

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